L’accompagnement des personnes en recherche d’emploi ne peut, à mon sens, faire l’impasse sur cette question car le chômage – surtout lorsqu’il se prolonge – altère fréquemment le rapport aux autres : qualité du contact, de l’écoute, disponibilité, parole sur soi, confiance, curiosité, discernement… Les modes relationnels que l’on tenait pour acquis, les façons de penser et d’agir, bref tout ce qui formait le tissu relationnel quotidien est remis en question. Des doutes, des peurs surgissent qui viennent parasiter, voire empêcher le contact avec l’autre, prélude à l’établissement du lien puis d’une relation.
Notre rapport à autrui est sans cesse passé au filtre d’un grand nombre de ressentis, perceptions, croyances – les nôtres et celles de l’autre. Par ailleurs nous nous inscrivons, sans même y penser, dans des cercles d’appartenance qui créent des référentiels communs, donc de l’implicite : je sais que l’autre comprend ce que je lui dis et réciproquement puisque nous sommes dans le même bain, en quelque sorte. Etre au chômage, c’est ne plus nager dans le même bain qu’avant, ne plus nager de concert avec les autres, parfois même nager à contre-courant.
Quelle adresse peut-on alors faire à autrui depuis cette position de « chercheur d’emploi » ? D’où parler ? De quoi ? Comment ? Ces questions se posent avec une intensité particulière lorsqu’est évoquée la nécessité d’utiliser son réseau. Une personne au chômage est en effet constamment encouragée à aller vers les autres pour trouver du travail, alors même que sa routine relationnelle est perturbée par ce à quoi le chômage l’assigne, à savoir l’exclusion du monde du travail.
Comme en témoignent des phrases telles que « je ne sais pas demander » ou « ça me met mal à l’aise de demander », tout se passe comme si la demande en soi était devenue un problème – alors même qu’auparavant ces mêmes personnes posaient de nombreuses demandes dans le cadre de leur travail pour obtenir des informations, un rendez-vous, des suggestions, de l’aide à la décision, etc. La question est alors : que signifie la demande pour le sujet ? Qu’implique-t-elle ? Les ramifications de ce thème sont nombreuses et touchent à des notions telles que : le pouvoir (réel ou supposé) que la demande donnerait à l’autre de la satisfaire (ou non) ; la dette (réelle ou supposée) encourue vis à vis de l’autre du fait de la demande. Poser une demande peut également réactiver la crainte du rejet ou de l’indifférence supposés, au cas où la personne sollicitée répondrait par la négative ou ne répondrait pas du tout.
Un autre exemple de ce que le chômage peut produire sur les relations – ou parfois révéler à leur propos – est l’impossibilité d’en parler à l’entourage proche : parents, fratrie, ami(e)s intimes…. Chaque cas est bien entendu différent, toutefois la trame des récits révèle un sentiment de honte, parfois très vif, et la crainte – voire la certitude – d’être déconsidéré(e), jugé(e). S’il arrive hélas que des membres de l’entourage aient effectivement des attitudes ou des propos dévalorisants, j’ai constaté aussi que certaines personnes anticipent systématiquement de tels comportements alors que rien de tel ne s’est encore produit. Le mécanisme à l’œuvre est alors différent : c’est la crainte qui crée le retrait relationnel, le silence sur la situation, privant la personne au chômage de possibles soutiens et aides concrètes.
Ainsi, éclairer ce qui se joue au plan relationnel constitue une étape nécessaire de l’accompagnement afin d’aider les personnes au chômage à prendre du recul, desserrer l’emprise des schémas de répétition et gagner en liberté de pensée et d’action.
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