Un certain nombre d’expressions sont utilisées si fréquemment que personne ou presque ne songe à interroger leur pertinence, étant entendu que « tout le monde » saurait ce qu’elles recouvrent. Elles sont dans l’air du temps, circulent encore et encore, finissant par s’imposer comme une sorte de langage prêt-à-porter, réutilisable quelles que soient les circonstances.
Or les mots que nous choisissons pour penser (intérieurement) et communiquer (à autrui) une situation ont une incidence sur la manière dont nous agissons relativement à celle-ci. Le langage témoigne en effet d’une représentation de la réalité vécue par le sujet en même temps qu’il la renforce – au point parfois d’empêcher la dissolution de la difficulté rencontrée, par l’effet de répétition du récit.
Deux exemples me paraissent significatifs à cet égard, deux expressions si souvent entendues pendant les séances de coaching : « faire son deuil » et « se vendre ».
La notion de deuil, qui renvoie à celle de mort, est désormais utilisée dans des contextes d’où cette dernière est absente. Exemple typique : « faire son deuil » d’un emploi. Il est vrai que certaines circonstances sont douloureuses – licenciement brutal, départ après une période de harcèlement, burn-out, etc – et la prise en compte de la souffrance du sujet est impérative. Cependant il me paraît essentiel de ne pas l’enfermer, en plus des difficultés rencontrées, dans le registre si lourd du deuil. Sans compter que celui-ci renvoie à des émotions, des pensées, des images et des expériences très intimes liées au parcours de vie, auxquelles il n’est pas aisé d’accéder, que ce soit pour le coach ou le client.
L’utilisation, à mon sens inappropriée, du mot deuil résulte d’un glissement de langage, par jonction avec les notions de perte et de séparation : perte d’un emploi, d’un statut social, d’une forme de stabilité ; séparation d’avec un collectif (l’entreprise, les collègues) et les routines associées, tout ceci entraînant fréquemment un sentiment d’isolement voire d’exclusion. Bien qu’il s’agisse de registres voisins dont les liens, les effets de résonnance sont indéniables, ils ne doivent pas être confondus, au risque de créer, précisément, de la confusion intellectuelle et émotionnelle chez le sujet. Il est essentiel au contraire d’introduire de la différence, de la nuance pour pouvoir se dégager du sentiment de découragement, de tristesse, et renouer avec les ressources qui permettent d’agir. Sur ce thème enfin, il est important de rappeler qu’on ne « fait » pas son deuil mais qu’on le vit, qu’il nous traverse, dans une temporalité qui nous échappe.
Autre expression très largement répandue lorsqu’il s’agit de chercher un travail, démarcher des prospects, présenter un projet : « se vendre ». Nombre de clients la reprennent à leur compte, sans la questionner. En cas d’insuccès dans leurs démarches, ils témoignent d’un profond découragement, soulignant leur incapacité à « savoir se vendre ».
Or cette formulation est particulièrement nocive en ce qu’elle écrase deux registres, celui de l’être et celui de la chose. Il ne s’agit pas ici de minimiser la nécessaire préparation à tout entrevue professionnelle mais de souligner les effet pervers d’un langage inadéquat.
Prenons le cas (assez typique) d’une personne qui a été licenciée et doit, d’une part, accepter cet état de fait, d’autre part rassembler ses ressources et mobiliser son énergie pour trouver un emploi. Proposer ses compétences, les mettre en valeur, estimer une juste rémunération, tout ceci ne signifie pas se vendre. Une personne n’est pas un objet sur lequel serait posé un prix.
S’entendre dire sans cesse qu’« il faut se vendre », intérioriser cette expression, c’est s’infliger quotidiennement une injonction absurde. Non seulement elle tend à réduire la difficulté bien réelle de la recherche d’emploi à une incapacité de l’individu concerné, mais elle vient saper peu à peu l’estime de soi.
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