Les assassinats successifs perpétrés à Paris et en région parisienne les 7, 8 et 9 janvier 2015 ont provoqué un choc considérable qui s’apparente à un véritable ébranlement psychique au plan collectif et individuel : l’ordonnancement de nos vies s’est trouvé, pendant quelques jours, bouleversé par la violence et ses engendrements, réels et symboliques.
Les conséquences n’ont pas manqué de se manifester en séance, tant il est apparu qu’il était impossible de ne pas parler de « ça ». En effet si le coaching offre un espace relationnel spécifique accueillant une problématique particulière, il ne s’agit pas d’une « bulle stérile » coupée du monde. Au contraire, le monde tel que perçu par le client entre avec lui en séance, croisant (et dialoguant avec) le monde tel que perçu par le coach. Or le monde a pris une coloration particulière du fait de ces évènements et de leur sillage dans l’espace public, notamment médiatique.
J’intègre ici le matériel amené par les clients en séance ainsi que mon propre vécu relativement aux évènements en question. Ma subjectivité est donc engagée dans cette réflexion et elle a orienté mon intention : mettre des mots sur cet instant précis où le monde extérieur vient littéralement percuter le monde intérieur du sujet – soit, avant toute pensée, toute appropriation, tout jugement.
En posant des questions comme « Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez appris ce qui se passait ? Quelles manifestations corporelles avez-vous pu observer ? Par quelles émotions vous souvenez-vous avoir été traversé(e) ? Qu’est ce que ces évènements vous font vivre? », je souhaitais explorer non les pensées – idées, opinions, valeurs, croyances, etc – mais les ressentis, hors toute considération politique sur les évènements en eux-mêmes.
Les notions de chaos et de sidération se sont peu à peu imposées comme figures émergentes des récits, me conduisant à mettre au travail la question suivante : en quoi le chaos extérieur résonne-t-il avec le chaos intérieur ? Autrement dit, quelle expérience antérieure actualise-t-il ? Ou encore : que sais-je déjà du chaos qui me fait le reconnaître ? De même qu’il s’agissait moins d’obtenir des souvenirs précis que de repérer des traces, le propos ici n’est pas de rapporter en tant que tels les contenus mis à jour mais de relever quelques traits saillants.
Dans cette expérience chaotique, tout se passe comme si rien de ce qui était connu, certain, établi (ou considéré comme tels) ne « tenait plus debout », dans une confrontation brutale et parfois terrifiante avec l’arbitraire.
Le sujet vit quelque chose qui le dépasse, lui fait violence et le blesse dans des proportions si considérables que ses capacités psychomotrices peuvent être momentanément suspendues (sidération) ou désorganisées (confusion) : déconnexion d’avec les ressentis et émotions, désorientation spatiale, troubles de l’attention, difficultés de raisonnement, etc
Quelques phrases entendues en séance l’illustrent :
« quand j’ai entendu les infos à la radio je n’ai pas compris, j’ai dû écouter plusieurs fois pou comprendre ce que j’entendais, pour admettre que c’était réel »
« ça a fait comme un blanc dans ma tête, je suis restée un moment sans pouvoir parler ou bouger »
« j’étais en voiture, j’ai pilé sans m’en rendre compte et après je n’arrivais pas à redémarrer, je n’arrêtais pas de caler »
« j’ai eu très froid , tout de suite »
« j’ai raté ma station de métro, ça ne m’arrive jamais ! »
« impossible de me concentrer, je n’ai pas vraiment travaillé pendant plusieurs jours »
« j’ai carrément oublié un rendez-vous … »
Dans les jours et les semaines qui ont suivi les choses se sont peu à peu remises à l’ordinaire, chacun effectuant ce que j’appelle sa « cuisine interne » afin de s’ajuster au réel : exprimer (ou non) ses émotions et opinions, participer (ou non) aux rassemblements, discuter (ou non) avec ses proches, ses collègues, etc.
Ces désordres intérieurs, ces vacillements, apparemment insignifiants au regard des drames qui les ont provoqué, parlent de notre vulnérabilité d’êtres vivants donc mortels, de notre impuissance face à cette condition et de la violence qui nous est faite d’en avoir la connaissance.
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